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Lionel Meneghin Posts

Développer la capacité critique et d’étonnement des managers

© Josiah Lewis

Paru sur www.lesechos.fr le 8 janvier 2012.

Depuis quelques années, la philosophie retrouve certains égards auprès des professionnels de l’entreprise. Effet de mode ? Sans doute un peu. Mais plus profondément, c’est bien une lame de fond qui traverse aujourd’hui les organisations. Pouvons-nous continuer ainsi ? Comment changer ? Comment trouver ce qui nous manque, ou retrouver ce qui nous a été confisqué, à savoir le sens du travail ?

La conscience que nous avons de ces questions est, aujourd’hui plus que jamais, d’une extrême acuité. C’est sur ce marché florissant que bon nombre de coachs essaient aujourd’hui de tirer leur épingle du jeu. Mais depuis des millénaires, c’est aussi le rôle de la philosophie que de poser la question du sens. C’est son rôle d’interroger toutes les disciplines, tous les objets. Parmi ceux-là, l’économie, le management et l’entreprise ne font pas exception. Si la philosophie et l’entreprise ne se sont jamais véritablement rencontrées par le passé, nous sommes aujourd’hui à l’aube de temps nouveaux. Un vœu pieux ? Plus que cela… Une impérieuse nécessité. Le philosophe Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France, le professait déjà il y a quelques années : « Aujourd’hui, il semble de plus en plus admis qu’il n’y aura pas de salut pour les entreprises si l’on n’y fait pas entrer d’une manière quelconque et sous une forme ou sous une autre la philosophie, en tout cas une certaine dose de philosophie ».

Un fossé

Ce rapprochement doit commencer là ou beaucoup de choses se mettent en place dans la formation des managers, à savoir à l’école. La tâche est immense. Quoi de plus éloigné, étranger l’un à l’autre, qu’une faculté de philosophie et une école de commerce. La première a pour finalité de former des Hommes capables de penser le monde et son évolution ; l’autre de professionnaliser des étudiants pour les insérer au mieux dans le monde du travail. Entre les deux, un fossé.

Le rôle de l’éducation n’est pas d’insérer les jeunes dans le monde tel qu’il est. Ni de nourrir de connaissances abstraites des étudiants dont le seul avenir est de venir grossir les rangs des chômeurs ou d’accéder à des professions sans rapport avec leur qualification et niveau de diplôme. Le rôle de l’éducation est de former des hommes et des femmes capables de construire le monde de demain. Le rôle d’une école – même de commerce — n’est pas simplement de fournir « de la chair à patron », mais d’élever (au sens de tirer vers le haut) des individus jusqu’à l’autonomie. C’est une exigence à la fois économique et citoyenne. Une exigence qui coïncide maintenant de plus en plus avec la plupart des attentes des DRH lorsqu’il s’agit de recruter des collaborateurs. Au moins au niveau du discours.

Elargir les frontières mentales

L’heure n’est plus au formatage des esprits, mais à leur ouverture la plus large, et pas seulement sur le seul plan interculturel. Comme des entreprises fonctionnant sur le modèle de toutes les autres, les écoles de commerce « se tirent la bourre » pour être les plus internationales et professionnalisantes possibles. Elles devraient également se jauger entre elles sur la capacité qu’auront leurs étudiants à construire le monde de demain, et non à en répéter les tristes erreurs. Qui mieux que la philosophie permet de rendre cela possible et d’élargir les frontières mentales ? Inoculer une dose de cette discipline dans les programmes des écoles de commerces ne serait pas un mal.

Les facultés de philosophie de leur côté, sclérosées dans des schémas marxisants, voient souvent en l’entreprise le mal absolu. Elles dont l’objectif est de permettre à leurs étudiants d’être en capacité d’éclairer un certain nombre de problématiques, ne s’intéressent finalement très peu, pour ne pas dire pas du tout, à cet objet non identifié qu’est l’entreprise.  « On ne désire pas ce qu’on ne connaît pas », affirmait Ovide. Comment des étudiants en philosophie peuvent-ils alors désirer une carrière dans le secteur privé marchand ? Pour la majorité de ceux qui s’engagent aujourd’hui dans un parcours universitaire en philosophie, l’enseignement – qui plus est à vie — ne constituera pas un débouché professionnel. Pour ces jeunes, l’ouverture vers le monde de l’entreprise doit donc devenir la règle et non l’exception.

Passerelles

Faire s’interpénétrer la culture des Humanités et celle de l’entreprise, voilà le défi à relever en France. Dans les pays anglo-saxons, celles-ci n’ont jamais été ennemies ou simplement étrangères. Les passerelles ont toujours existé entre elles. A l’ère de l’économie de l’immatériel, la formation de l’intelligence et du cœur de nos futurs managers s’avérera un atout décisif dans la compétitivité des entreprises du XXIe siècle.